
Zoé Munio
“Il est essentiel pour le développement de nos îles que les jeunes diplômés y restent et y apportent leurs idées et leurs compétences.”
Présentes-nous ton parcours!
Je m’appelle Zoé, j’ai 27 ans, et j’ai grandi en Guadeloupe. Après mon Bac, j’ai intégré la Classe Préparatoire Littéraire (hypokhâgne) du Lycée Gerville Réache, à Basse-Terre. Ce n’était pas mon premier choix, mais j’étais sur liste d’attente à Fustel de Coulanges, la CPGE (Classe Préparatoire aux Grandes Écoles) réputée de Strasbourg, et n’avais pas la possibilité de repousser mon inscription. Je suis arrivée en prépa pleine d’a priori négatifs, avec l’impression de rejoindre une formation “médiocre” qui ne me permettrait pas de poursuivre des études prestigieuses.
J’avais complètement tort!
Non seulement les enseignants étaient d’une qualité irréprochable, mais ils ont été d’un tel soutien que, grâce à leur accompagnement, j’ai réussi le concours d’entrée de Sciences Po Bordeaux à la fin de ma première année.
J’ai plus appris en hypokhâgne que durant tout le reste de ma scolarité ; et le niveau était beaucoup plus élevé que ce que j’avais pu imaginer. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : dans le classement suivant, Gerville Réache prend la 4e place, largement devant les “célèbres” prépas “Le Parc”, “Janson-de-Sailly” et “Condorcet” par exemple. Mon fameux Fustel de Coulanges y occupe d’ailleurs la dixième place:
https://www.letudiant.fr/palmares/classement-prepa/premiere-sup-a-l/ecole-integree-panier.html
Mea culpa! Depuis, je n’ai de cesse de valoriser cette formation et de la défendre contre les idées reçues.
J’ai donc ensuite intégré le programme France-Caraïbes de Sciences Po Bordeaux, une filière internationale spécifique qui propose un parcours sur 5 ans qui se déroule de la façon suivante :
-1ère année : tronc commun à Sciences Po Bordeaux
-2e année : Sciences politiques orientées “Caraïbes” à l’Université des Antilles en Martinique
-3e année : Master 1 à Sciences Po Bordeaux
-4e année : Relations internationales à University of West Indies en Jamaïque
-5e année : Master 2 à Sciences Po Bordeaux
Ce programme nous permet de préparer le Diplôme de Sciences Po Bordeaux, avec les mêmes cours que ceux suivis par les autres étudiants, tout en se spécialisant sur des thématiques en lien avec les Caraïbes : histoire, culture, géopolitique, anthropologie…
Cette formation sur 5 ans nécessite une forte capacité d’adaptation puisqu’on change d’environnement chaque année, mais c’est une expérience incroyable que je recommande à 1000% !
Après mon diplôme, je suis revenue en Guadeloupe en 2016 où j’ai trouvé mon premier emploi en CDI.
Parles nous des avantages et des inconvénients.
Il y a un premier avantage indéniable à faire (au moins) sa première année Post-Bac sur son île : à 18 ans, on n’est pas forcément prêt à quitter tous ses repères, à partir à 8000 km de ses proches et à se débrouiller entièrement seul. Ce n’est pas aussi facile que l’on peut le penser. Beaucoup de mes amis en ont souffert et certains sont mêmes revenus au bout de quelques mois.
A Gerville Réache, j’étais en internat la semaine, et rentrais chez moi le week-end. C’était une transition parfaite : j’apprenais à me détacher de ma famille avec douceur, et je n’étais pas encore obligée d’être 100% autonome : pas de cuisine, pas de ménage, pas de gestion administrative…
Quand je suis partie à Bordeaux un an plus tard, j’étais prête.
Ensuite, l’année en Martinique m’a permis de rentrer plus souvent chez moi, et de me reconnecter à mes repères, à un environnement familier et rassurant.
Enfin, le fait que mes études soient orientées vers des problématiques caribéennes a été bien sûr extrêmement enrichissant : j’ai rencontré de véritables spécialistes qui m’ont donné le recul nécessaire pour comprendre beaucoup de choses sur notre île et sur nos habitudes. Forcément, nous sommes beaucoup plus investis quand notre sujet d’étude… c’est nous !
L’inconvénient principal aujourd’hui reste le manque de choix dans les formations qui existent en local, mais il y a surtout un gros problème de communication. J’ai eu beaucoup de chance de m’inscrire au concours de ce programme France-Caraïbes, mais je n’en n’aurais sans doute jamais entendu parler sans mon professeur principal en hypokhâgne.
Au lycée, on m’a toujours orientée vers des classes préparatoires ou des grandes écoles situées en France hexagonale, comme si on nous préparait depuis toujours à quitter les Antilles après le BAC. Pourtant, non seulement ce n’est pas une fatalité puisqu’il existe des parcours d’excellence en local, mais en plus il est essentiel pour le développement de nos îles que les jeunes diplômés y restent et y apportent leurs idées et leurs compétences.
Quelles seraient tes recommandations suite à ton expérience ?
Ne vous fiez pas aux idées reçues !Mon lycée était classé Zone d'Éducation Prioritaire et dénigré au niveau national. Pourtant, en 2010, ma classe a eu 100% de réussite au BAC. Beaucoup de mes anciens camarades sont devenues les personnes les plus brillantes que je connaisse aujourd’hui : certains ont des doctorats, sont ingénieurs spécialisés, finissent leurs études de médecine, ou travaillent à la Commission européenne.
Avoir été formée dans la Caraïbe ne signifie pas que nous sommes moins bons que les autres, bien au contraire.
A nous de le prouver pour renverser définitivement ces clichés.